« Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure des souvenirs dormant dans cette chevelure, je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! », écrivait Baudelaire dans ses Fleurs du mal : aux yeux du poète, au XIXème siècle, la chevelure enivrante est une mousse densément frisée. Pourtant, à l’heure actuelle, la plupart des personnalités affichent des cheveux raides, lisses, disciplinés, et de nombreuses femmes aux cheveux bouclés à crépus raidissent artificiellement leur chevelure. Que penser de ces soins lissants ou défrisants ? Mabi fait le point sur le principe, l’efficacité et la potentielle nocivité de ces techniques et revient sur leur popularité aux jours peut-être comptés.
Les techniques de lissage et de défrisage
Pour afficher une chevelure parfaitement raide sans avoir à lisser leurs cheveux après chaque lavage, de nombreuses femmes aux cheveux bouclés, frisés ou crépus ont recours à divers types de techniques de coiffure telles que le lissage semi-permanent ou le défrisage.
Le lissage semi-permanent le plus populaire, le lissage brésilien, consiste à enduire les cheveux de kératine puis à activer ou fixer ce principe actif tout en détendant la chevelure au moyen de plaques chauffantes (ou d’une brosse et d’un séchoir). Ce type de soins ne garantit pas un résultat de longue durée : le plus souvent, la chevelure redevient bouclée après 2 à 4 mois. Selon le degré de frisure des cheveux, ce type de lissage ne permet par ailleurs pas toujours d’obtenir une chevelure parfaitement lisse – parfois, les boucles apparaîtront seulement détendues, alourdies. A noter que d’autres types de lissages semi-permanents existent, comme le lissage japonais (où la kératine est remplacée par de l’acide thioglycolique plus efficace mais plus agressif et qui tend à fragiliser le cheveu) ou le lissage coréen (où l’acide thioglycolique est adjoint de henné).
Le défrisage, lui, vise à modifier chimiquement et définitivement la structure des cheveux (soit à briser les ponts di-sulfure de la gaine de kératine des cheveux) au moyen de préparations à appliquer à froid. « Il existe deux types de défrisages : “le thiolé“ et “l’alcalin“ », explique le centre Clauderer sur son site internet (https://www.centre-clauderer.com/traitements/avancees-technologiques/keratine/manipulations-cosmetiques/techniques-defrisage/).
« L’agent thiolé [du premier type de technique en réalité proche du produit utilisé pour le lissage japonais] détruit 30% des liaisons di-sulfures qui soudaient entre elles les chaînes de cystine et imposaient au cheveu sa frisure d’origine. Sous l’action du produit, le cheveu est raidi jusqu’à obtention de l’assouplissement désiré. On applique ensuite un produit oxydant qui fixe l’action précédente et recimente les fibres protéiniques entre elles », détaille ce centre d’expertise sur la chute des cheveux. Ce genre de soins, qui ne nécessite pas de passer par un traitement par la chaleur (par un séchoir ou des plaques chauffantes) est en particulier destiné aux femmes présentant une chevelure frisée ou bouclée de type caucasienne – c’est-à-dire aux clientes et clients occidentaux).
Les personnes présentant des cheveux plus frisés encore ou crépus de type africains doivent plutôt, pour obtenir une chevelure lissée pendant une plus longue durée, recourir au défrisage alcalin, plus agressif encore. « L’agent alcalin détruit 90% des liaisons di-sulfures en expulsant l’un des deux atomes de soufre sur chaque molécule de cystine. Spontanément et dans le même temps, un nouveau pont se reforme avec un seul atome de soufre (pont dit de lanthionine). Ainsi contrairement au produit thiolé, le produit alcalin ne nécessite pas de fixateur oxydant puisque la soudure du pont unique est inhérente et simultanée à l’action même de l’agent alcalin. Le processus de désagrégation totale des ponts est stoppé par un rinçage prolongé et un shampooing neutralisant pour éliminer les derniers résidus alcalins », explique le centre Clauderer.
Ces soins de défrisage assez onéreux peuvent être réalisés en salon de coiffure ou à domicile, de nombreux produits lissants ou défrisants pouvant être trouvés dans le commerce ou sur internet.
Des soins agressifs pour les cheveux
Le problème, c’est que toutes ces techniques apparaissent relativement toxiques.
Toxiques pour les cheveux eux-mêmes d’abord. « Le cheveu est raidi mais il a perdu son élasticité naturelle et peut ressortir rêche au toucher, très asséché, beaucoup plus sensible à la cassure, voire à l’effritement. Ces remarques concernent surtout le défrisage alcalin à cause de la grande causticité du produit défrisant », explique le centre Clauderer sur son site internet. C’est pourquoi un cheveu défrisé ne doit l’être qu’une fois (seules les repousses doivent être défrisées : il ne faut pas appliquer un produit défrisant plusieurs fois sur la même partie d’un cheveu). Par ailleurs, de tels produits ne doivent pas être appliqués à même le cuir chevelu ou trop longtemps : ils risqueraient alors de provoquer des irritations, des desquamations, voire une fragilisation définitive ou une chute importante des cheveux en cas d’atteinte des racines.
Toxiques également pour le reste de l’organisme. En effet, les traitements chimiques qui permettent le lissage semi-permanent ou le défrisage contiennent certains produits qui, présents en une certaine quantité, sont considérés comme dangereux pour la santé humaine. Il s’agit par exemple du formaldéhyde utilisé lors du lissage brésilien – en quantité infime, ce composé apparait relativement inoffensif, mais des expositions répétées à des quantités plus importantes de cette molécule pourraient provoquer des symptômes d’hypersensibilité (sensations de brûlures, signes respiratoires, picotement des yeux, vomissements, etc.), des troubles de la fertilité, voire des maladies plus graves (le formaldéhyde est considéré comme une substance cancérogène avérée). A noter que les produits étiquetés « sans formaldéhyde » pourraient en fait en contenir, souligne le magazine Cosmopolitan : les soins dédiés au lissage et au défrisage des cheveux apparaissent d’autant plus inquiétants que leur composition exacte semble souvent inconnue.
Les salons de coiffure ne désemplissent pourtant pas
Si le témoignage de nombreuses femmes suggère que le lissage et le défrisage des cheveux provoqueraient une addiction à ces mêmes pratiques, la raison pour laquelle de nombreuses personnes (d’après une étude Ipsos réalisée auprès de femmes africaines, contre seulement 3 % des Ivoiriennes et 4 % des Sénégalaises apprécieraient les coiffures naturelles) continuent de raidir artificiellement leurs cheveux est sans doute bien différente. « Les lissages et perruques ne relèvent pas d’une mode passagère, mais davantage d’une attitude collective de rejet et de méconnaissance du cheveu crépu », affirme ainsi le magazine Marie Claire (https://www.marieclaire.fr/,defrisage,20258,48681.asp) : le cheveu crépu, « afro », « difficile », « indiscipliné », est bien plus mal considéré que le cheveu raide, lisse, aisément coiffable. A tel point que peu de personnalités aux cheveux crépus s’affichent avec leur chevelure naturelle. « Il n’existe qu’une seule photo publique de Michelle Obama avec des cheveux naturels, le jour de sa remise de diplôme à Harvard », souligne Marie Claire. « En 2007, Angelina Jolie s’est fait agonir par la presse people américaine le jour où un photographe a surpris sa fille adoptée Zahara avec des cheveux crépus et simplement noués en queue-de-cheval. Les chroniqueurs ont accusé Angelina de ne pas savoir s’occuper de sa fille et de prendre le risque, en ne domestiquant pas sa chevelure, de “lui donner une mauvaise image d’elle-même ” », ajoute le magazine féminin.
Mais pourquoi le cheveu frisé, et plus encore le cheveu afro, a-t-il si mauvaise presse ? Pour la sociologue antillaise Juliette Sméralda, un axe de réponse peut être trouvé dans l’histoire de la colonisation et de l’esclavage : « Des centaines de milliers de Noirs sont arrachés à leurs cultures et privés du peigne africain. […] Sans soins, les cheveux s’emmêlent, se remplissent d’humidité et de parasites. On doit les cacher. Ils deviennent stigmates. Les esclaves domestiques, qui passent de longues heures à shampouiner, peigner et coiffer les chevelures des maîtres blancs, vont jouer un rôle primordial dans la détestation du cheveu crépu. Elles intériorisent les critères de la beauté des femmes blanches », écrit-elle. Cependant, des débats ayant eu lieu au cours des années 2010 au cours desquels de nombreuses femmes ont insisté sur le caractère culpabilisant d’une telle hypothèse – selon laquelle les adeptes du défrisage pourraient être perçus comme des « traîtres » à leurs racines – suggèrent que la réponse pourrait être bien plus complexe encore.
Vers le développement d’alternatives au défrisage et une évolution des mentalités
Ce qui semble cependant certain, c’est que des précautions peuvent être prises afin de limiter les effets indésirables du lissage ou du défrisage. En particulier, le respect de la notice d’utilisation des produits défrisants, des lavages par des shampoings doux, sans sulfates, et l’utilisation régulière de produits hydratants sont souvent préconisés.
Cependant, ces quelques gestes ne permettent pas d’enrayer la totalité des effets néfastes des soins capillaires visant à raidir plus ou moins définitivement la chevelure. Ainsi, une tendance alternative se développe dans la lignée de la « Slow Cosmétique » : le Slow Défrisage, qui prône une utilisation réduite d’actifs chimiques, un espacement des soins défrisants, le recours à des « coiffures protectrices » telles que les tresses ou les perruques à alterner avec des soins très hydratants, etc. Des alternatives qui semblent intéressantes en attendant que, dans la lignée du mouvement américain « natural hair movement » ou « nappy », les mentalités changent définitivement, permettant aux personnes frisées ou crépues de se réapproprier leur chevelure, leur image.